Jour 99. Prise au piège des sites d'offres d'emploi

Automne 2020

Aujourd’hui, c’est la Nouvelle Lune (en Sagittaire !) à 8 h 19. Depuis quelques semaines, j’essaye d’être plus en phase avec l’énergie de la lune, et… je tire les cartes au rythme des cycles lunaires ! J’écris ça très naturellement, mais jamais je n’aurais imaginé commencer une telle pratique. Je ne suis pas du tout incollable sur les signes astrologiques, je ne connaissais pas mon ascendant lunaire il y a un mois et j’ai toujours eu peur des voyantes (même si mon arrière-grand-mère en était une, recevant les grands de son monde dans son bureau tout proche du Printemps du boulevard Haussmann, à Paris). 

J’ai commencé à tirer les cartes le week-end d’Halloween 2020, quand Aurore, la sœur de mon amie Cassandre, m’a fait découvrir cette pratique assez obscure, dans son salon purifié par la sauge, flottant dans les effluves du palo santo, un bois sacré utilisé par les chamans incas, dégageant une odeur apaisante quand il brûle. 

Passionnée par le Féminin sacré et par les sorcières modernes, Aurore est convaincue du pouvoir de notre intuition, trop souvent laissée de côté au nom de la sacro-sainte rationalité. Elle regrette que nos vies linéaires ne tiennent pas compte de notre énergie cyclique, dépendant des cycles menstruels et lunaires, et des saisons. Les yeux d’Aurore pétillent quand elle me présente toute sa collection de pierres, le petit autel qu’elle a installé dans le « bureau » qu’elle partage avec son compagnon et sa collection de coffrets de « cartes oracle », qu’elle utilise pour tirer les cartes. Et je dois l’avouer, dans ce bureau où reposent ses pierres, sa botte de sauge et tous ses objets « sacrés » pour des rituels « païens », une ambiance enveloppante y règne, comme si le temps s’y était arrêté.

Le 31 octobre 2020, pour la première fois, Aurore m’a tirée les cartes. Pour être plus exacte, j’ai tiré mes propres cartes : j’avais un tas de cartes dans les mains, préalablement mélangé, et selon la signification de la carte à tirer (par exemple : « le présent », « le défi », « le résultat si rien ne change », « le chemin vers le futur »), je tirais la carte que je « sentais » le plus. Guidée par Aurore, j’ai tiré en tout onze cartes, que nous avons disposées en croix celte. Depuis, j’ai tiré les cartes à chaque nouvelle phase de la lune (Nouvelle Lune, premier quartier, Pleine Lune, dernier quartier). Au début, je n’y croyais pas trop. J’avais surtout très peur que les cartes prédisent ma vie, m’annonçant des choses que je ne voulais pas du tout savoir.

Je n’avais pas de soucis à me faire : bien que les cartes donnent des directions, elles ont plusieurs clefs de lecture et reposent essentiellement sur l’interprétation. Malgré tout, les cartes « prennent position » car chaque carte correspond à une phase de la lune particulière. Par exemple, parmi les cartes « classiques », les douze cartes de la Nouvelle Lune « apportent une énergie de nouveauté et de commencement », tandis que les douze cartes de la Pleine Lune « annoncent les apogées et les conclusions de chaque signe du zodiaque », explique l’astrologue Yasmin Boland, dans le livre explicatif des cartes, La Lunologie (2018).

Et devinez sur quelles cartes je tombe le plus souvent, à chacun de mes tirages ? Sur les cartes de Nouvelle Lune, bien sûr ! Je ne sais pas si j’y crois, mais en tout cas ces tirages m’apportent plein d’ondes positives et d’axes de développement personnel.

Et les ondes positives, j’en ai bien besoin ! Ma semaine dédiée à mes projets persos va finalement durer quinze jours, jusqu’à la fin du mois de décembre. A la fin de la semaine dernière, j’avais à peine commencé à travailler sur le podcast, trop occupée à sélectionner toutes mes photos pour mes albums et… à écrire ces lignes !! Mais, en ces derniers jours d’automne, j’appréhende beaucoup les mois à venir, car là, pas question de passer (trop) de temps à réfléchir ou à lire. La gorge nouée, il va falloir s’y mettre, si je veux décrocher un poste en juin. Mon objectif est de réussir à trouver un poste en février, en mars ou – au pire – en avril, pour un début en juin prochain. Oui, j’ai conscience que c’est quasiment impossible, si je passe par les voies conventionnelles, en répondant à des offres sur des sites d’emploi. Mais j’ai une autre idée en tête…

Mardi soir, j’ai craqué. J’ai rompu ma règle de ne pas me dédier à mes projets pro jusqu’à la fin du mois et… je suis allée « surfer » sur un site d’emploi. Après avoir lu des articles angoissants sur le statut (précaire) de microentrepreneurs, je n’ai pas pu m’en empêcher : je me suis rendue sur le site de Jobs That makesense. Et bien sûr, je n’aurais pas dû. Bien sûr, je me suis mise à finir ma boite de chewing-gums. Mais surtout, surtout, je n’ai trouvé qu’une offre d’emploi qui m’irait « à peu près » – sans éveiller chez moi un grand enthousiasme.

C’est une offre de « Chef(fe) de projet “Relations Entreprises” » dans une petite association renommée de l’économie sociale et solidaire (ESS), avec trois missions principales : « co-conception d’une offre de sensibilisation/ formation sur le recrutement inclusif par les soft skills, animation de la communauté de partenaires/prospects RH/RSE, développement et déploiement du programme ». Le programme, intitulé « JOBREADY », « vise à accompagner l’insertion professionnelle des jeunes de milieu populaire en les aidant à identifier, développer et valoriser leurs soft skills ». 

Honnêtement, ce n’est pas avec ce job que je vais me lever le matin avec plein d’entrain. Mais parmi les centaines d’offres que j’ai vues, c’est la seule qui me conviendrait « à peu près » et qui a un salaire plus ou moins cohérent avec mon niveau de diplôme (32 K € bruts). Et qui sait, peut-être que je suis mauvaise langue et qu’en fait, ce travail me plairait ?

Malgré tout, mardi soir, à mesure que je faisais défiler les offres d’emploi, un sentiment de désespoir m’a envahie. Aucune offre ne me plaisait « vraiment ». Aucune ne me correspondait « vraiment ». Je crois que les offres d’emploi bornent mon horizon. Celles que je regarde ne répondent pas du tout à mes aspirations, à mes besoins, à mes talents, à mon « génie » personnel (on a tous et toutes un « génie » – c’est un terme de coaching que m’a appris mon parrain, apprenti coach).

En regardant les sites d’emploi pour les diplômé·es de grandes écoles et de facs, dans le champ des politiques publiques, de l’ESS, etc., mes envies sont étouffées, rétrécies, même ignorées. Contraintes de s’adapter à des demandes d’entreprises qui ne coïncident que très peu avec mes principales compétences. Contraintes de se plier en quatre, en huit, en dix, de se chiffonner, de s’abîmer pour, finalement, rentrer dans les cases, dans la toute petite boite qui m’est destinée. Regarder des offres d’emploi, c’est devenu un moment de stress, nouant ma gorge pendant plusieurs heures, comme si, sur le marché de l’emploi, mes aspirations ne comptaient plus. La seule chose qui compte, c’est que j’aie à peu près le bon diplôme et l’expérience attendue pour le poste.

Aujourd’hui, j’en ai marre d’angoisser à chaque fois que je regarde des offres d’emploi. J’en ai assez d’avoir les yeux embrumés, le regard caché par un voile de désespoir, trop occupée à écouter cette petite voix de la raison qui me susurre à l’oreille : « tu n’y arriveras pas ». Engagée sur la route conventionnelle de la recherche d’emploi (via des réponses à des offres), j’ai décidé d’appuyer sur la pédale de frein.

Je mets mon clignotant à droite et je pars sur la route beaucoup plus enthousiasmante des candidatures spontanées, des appels à des professionnel·les qui font ce qui me plaît. La route des jobs décrochés « au culot ». Bon, d’accord, j’ai déjà pris cette route depuis longtemps, mais aujourd’hui, je prends conscience que les sites d’emploi seront plutôt une exception dans ma recherche. À l’époque de mon parrain, sans Internet, aucun de ces sites n’existait. Les candidatures spontanées étaient le lieu commun de tout chercheur d’emploi. « A la sortie de mes études, j’avais fait éditer mon CV et ma lettre de motivation sur du papier beige avec une encre bleu marine, me raconte mon parrain. J’avais quatre ou cinq séries prêtes à envoyer suivant le job où je candidatais. Ce n’était pas très personnalisé. » Lol.

Ok, « Dans le temps », les sites d’offres d’emploi auraient fait baver d’envie mon parrain et ses ami·es. Mais ils ne sont pas une aide miraculeuse à la recherche d’emploi. Comment savoir ce dont on a envie quand on nous dicte ce dont on doit avoir envie, ce qu’on doit faire, via des offres toutes faites ? Impossible. Les sites d’emploi, c’est des œillères qu’on me met de force. Je suis bien plus enthousiasmée par le fait de proposer mes services, que de répondre aux propositions des autres. Qui, en plus, ne connaissent pas mes talents.        

Désormais, je n’ai envie ni d’étouffer ma créativité, ni d’écraser ma plume joyeuse et frondeuse et mon envie de bousculer les codes. J’ai envie d’y croire. Croire que je vais réussir à « faire » à plein temps quelque chose que j’aime, en juin. J’espère avoir raison. Car pour l’instant, impossible de programmer quoi que ce soit pour les vacances de Pâques. Comment partir sereinement quand on est en recherche d’emploi ? Quand on a l’épée de Damoclès de l’incertitude au-dessus de nous ? Quand on marche avec la peur de ne rien trouver une fois arrivé·es à la ligne d’horizon ? On n’y pense pas, à ça, quand on voit ces jeunes diplômés voyageant autour du monde, après leurs études. Je me demande sincèrement comment ils font. Peut-être savent-ils déjà quel type de travail ils rechercheront à leur retour, ou ce qu’ils aiment faire au travail.

J’adorerais partir, avec mon parrain sur le chemin de Saint-Jacques, ou aux Glénans faire de la voile, mais… je suis incapable de m’engager sur des dates car, en mars, je serai peut-être toujours à la recherche d’un emploi. C’est le scénario catastrophe, le scénario qui m’empêcherait d’écouter cet appel du large qui résonne en moi depuis tant de mois. Impuissante, je serais enchaînée à mon bureau, à mon ordinateur, stressée par toutes ces offres auxquelles je devrais répondre le plus vite possible. Désespérée, j’accepterais « n’importe quoi », je me retrouverais chargée de la gestion d’un projet quelconque et… j’étoufferais à nouveau ma créativité.

Oui, c’est dur. C’est la peur de me retrouver dans cette position qui me fera avancer le mois prochain. Honnêtement, j’ai du mal à imaginer comment je vais pouvoir éviter cette situation. Mais je DOIS y croire, sinon, ça ne sert à rien d’essayer. Hors de question de m’avouer vaincue dès maintenant. Je n’ai PAS le choix. Alors je m’accroche à mon destin. Et je médite sur les mots de l’aventurier Mike Horn, dont mon parrain et moi sommes de grandes admiratrices : « La peur ne doit pas vous arrêter. Elle doit au contraire vous donner des ailes. »

Et, peut-être, plus tard, devrais-je m’entraîner à prendre des risques, moi qui y suis assez allergique ? « Dans la vie, si on commence à évaluer tous les risques, on ne fait rien », assène le navigateur Guirec Soudée…

Milo

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