Jour 120. Le job parfait ? Introuvable !

Hiver 2020-2021

Ouhlà, ça pique. Ça fait presque 120 jours que j’ai terminé mon stage. Quasi quatre mois. Et qu’est-ce qu’il s’est passé depuis ? Qu’est-ce que j’ai fait entre temps ? Bof, hum, bah, j’ai cherché ! Mais je n’ai rien de tangible à montrer. Que des contacts pris, des appels passés, quatre offres d’emploi auxquelles j’ai candidaté, des livres lus et… voilà. Je culpabilise un peu de n’avoir « rien » fait. Aujourd’hui comme hier, je me suis réveillée toute triste. Un peu éteinte. On est le lundi 4 janvier et hier, c’était la rentrée des classes. J’ai passé le Nouvel An avec cinq ami·es, qui commencent ou reprennent leur travail aujourd’hui. Et moi, moi, bah non, je ne fais rien de spécial aujourd’hui. Je me sens un peu seule.

Alors je me stresse, comme si j’avais besoin de me mettre moi-même la pression. Je me fixe des objectifs pour cette année, des objectifs jusqu’à fin mars, des objectifs mensuels et même hebdomadaires. La liste des choses que je veux faire chaque jour est interminable. Sans savoir vraiment comment, je me suis retrouvée ce matin à candidater pour une offre de CDI qui avait l’air plutôt sympa, pour être « coach vers l’emploi » pour un public éloigné de l’emploi, dans une start-up en pleine croissance.

Je pensais que pour une fois, c’était un poste de formatrice pas trop mal payé. Qui n’était pas aux alentours du SMIC (18 K € annuels) ni trop loin du salaire moyen de sortie de mon Master (39 K €). Mais la rémunération n’était pas précisée sur l’offre d’emploi. J’ai découvert cet après-midi, dans un mail m’annonçant que ma candidature était retenue pour un cas pratique, que le salaire était de 28 K € non négociables. Pour moi aussi, c’est non négociable d’avoir un salaire cohérent avec mon niveau d’études et ce type de poste. Découragée, j’ai lâché l’affaire, une boule dans la gorge.

Je ne veux en aucun cas faire partie de ces personnes qui acceptent des postes très mal payés sans que cela ne soit vraiment justifié, sans que les missions ne soient si différentes que dans d’autres postes, bien mieux rémunérés, dans des secteurs lucratifs. Je ne veux pas renforcer les statistiques de l’enquête jeunes diplômés de Sciences Po, qui atteste que les femmes sont payées en moyenne 37 K € à la sortie des études, contre 42,5 K € pour les hommes. Je me suis donc fixée comme limite, comme salaire minimum que je pourrais accepter, 32-34 K €. Pas en dessous.

Je ne comprends pas pourquoi je me suis remise à candidater à des offres, alors que je ne souhaite pas travailler tout de suite. J’ai tellement de choses à faire avant. Ce matin, j’ai repéré cinq autres offres où je compte candidater aujourd’hui ou demain. Mais si jamais je suis retenue, je ne suis pas du tout sûre d’accepter le travail. J’essaierais probablement de négocier une prise de poste en avril, ou en juin, sans trop d’espoir…

Quand je candidate à des offres de travail, je me sens bien, immédiatement après. Une sensation de plénitude envahit l’atmosphère de ma chambre. J’ai l’impression d’avoir réalisé quelque chose. J’ai le sentiment du devoir accompli. Comme si j’essayais de me berner, en me mettant dans la peau d’une personne en recherche active d’emploi, qui doit absolument trouver quelque chose dans les mois à venir, coûte que coûte. Non, ce n’est pas moi. Moi, je suis en recherche active d’un emploi qui me corresponde. Et comme c’est difficile, j’ai prévu de prendre du temps.

C’est quand même sacrément bizarre de chercher un emploi en 2021. On sait que notre civilisation a de grandes chances de s’effondrer pendant notre vie, qu’il y a urgence à anticiper les conséquences de la crise climatique avant que la vie sur Terre ne soit plus possible, que le Groenland va disparaître de manière irréversible mais… on candidate à des postes « classiques », les mêmes que ceux de nos parents, comme si de rien n’était. On voit le gouffre qui nous menace s’élargir chaque jour toujours plus, toujours plus vite, toujours plus gravement, mais on nous incite quand même à courir tête baissée vers le précipice. Sans tenter de combler l’abîme, ou de construire des barbelés autour.

Tout ça me laisse paralysée, dans un état de sidération et de stupeur infini. Comment on a bien pu en arriver là, pétard ? Je suis coincée entre la nécessité de trouver un emploi qui puisse me nourrir convenablement et celle de pouvoir dire à nos enfants, à la génération future, qu’on a fait tout ce qu’on pouvait. Qu’on a agi, qu’on a tenté d’éviter le pire.

Nous, les jeunes adultes, on se retrouve à une époque charnière du monde et de notre propre vie. On doit sauver notre monde naturel et on doit trouver un emploi. On doit à la fois construire des futurs désirables pour notre planète et pour nous-mêmes, pour notre vie pro et perso. Au moins, tout nous arrive en même temps. Quoiqu’il en soit, on doit changer nos modes de vie. Ou on devra le faire, un jour ou l’autre, quand on ne pourra plus compter sur autant d’énergies qu’aujourd’hui.

Aujourd’hui, on a la vingtaine et on ne pourra pas dire qu’on ne savait pas. D’accord, on a subi toutes les conséquences de l’inconscience écologique des politiques. Depuis qu’on est né·es, et même avant. Mais maintenant, on est devenu·es grands, grandes et on a les moyens d’agir. En 2021, à l’âge de trouver un emploi, on nous parle plus que jamais de la crise environnementale. On la ressent. On la vit. 

Mais que faire ? Pour sauver notre planète et notre peau, il n’y a ni notice d’utilisation ni plan d’attaque déjà préparé. Pas de cursus spécialisé non plus. On n’a aucune expérience sur le sujet. Tout est à réinventer. Heureusement, on peut adopter des gestes écolos au quotidien : ne pas trop acheter de vêtements neufs, ne pas trop utiliser de voiture, d’avions, acheter bio et responsable dans une Amap (association pour le maintien de l’agriculture paysanne) ou à Biocoop, acheter local, réduire ses déchets, etc.

Oui mais, et après ? On continue à avoir des jobs totalement déconnectés de la crise climatique ? À dédier toutes nos heures de travail à des sujets ignorant l’urgence environnementale ? À être frustré·es au quotidien par notre vie pro ? Ou même, parfois, à en avoir honte ? Car on ne fait pas avancer le schmilblick.

Ce serait bien d’investir tout son temps de travail dans la lutte écologique et pour la justice sociale. Mais peu d’entreprises proposent ça, quand on n’a pas un Master spécialisé dans les énergies, l’ingénierie, comme ma copine Charlotte, passionnée par les énergies éoliennes et le biogaz. Bon, j’ai quand même vu une offre de coordinateur·rice communication et presse chez Alternatiba, une grande association écolo. Ça avait l’air génial. Mais… C’était payé au SMIC. Entre les convictions et le salaire, il faut choisir.

Quand on sort d’une très bonne fac ou d’une grande école, on s’attend à être payé·es beaucoup. Le salaire moyen à la sortie de Sciences Po, c’est 38 K € annuels. À la sortie de certains Masters de Dauphine, le salaire médian est à 45 K €. Et ouais, c’est ce qu’on nous vend. On nous formate à attendre beaucoup du travail. Enfin, à attendre beaucoup d’argent. Alors, quand on nous a répété pendant cinq ou six ans qu’on allait bien gagner notre vie, sans jamais n’avoir de soucis d’argent, c’est dur de revoir nos attentes à la baisse. Quasi impossible. Ce n’était pas dans l’équation.

On avait imaginé qu’on achèterait une maison à 30 ans, qu’on ferait de grands voyages tous les ans, qu’on pourrait presque tout s’offrir. Qu’on ferait partie des Français et Françaises aisé·es. Et on se retrouve souvent assez frustré·es, car, malgré tout, on préfère choisir un travail qui a du sens pour nous, qui nous passionne vraiment et qui, souvent, est beaucoup moins bien payé que d’autres jobs à notre portée, de consultant·e, d’auditeur·trice, de « biz dev » (business developer), … Bref, des emplois éprouvants et souvent ingrats.

Ce week-end, j’ai revu deux amies du lycée. L’une, Lise, est diplômée d’un très bon Master d’une école de commerce, l’autre, Charlie, de Sciences Po. Lise a fini son stage de fin d’études fin décembre, quatre mois après moi. Elle voulait absolument trouver un CDI en janvier. Alors elle a candidaté à beaucoup d’offres. Au début, compte tenu du gel des embauches à cause du Covid, elle n’était pas du tout exigeante et répondait à n’importe quelle offre dans son champ d’expertise. Puis elle a décidé de croire en sa valeur et de cibler davantage ses recherches. Et ça a marché. Elle a commencé hier un poste dans la santé et l’open innovation.

Quand elle nous a annoncé qu’elle avait réalisé son objectif et obtenu un travail, on l’a félicitée. Quelle joie de la voir réussir ! Mais, en rentrant de notre balade au parc des Buttes Chaumont et à la Butte Bergeyre, je me suis découverte toute peinée, d’humeur maussade et chagrine. Comme si la nouvelle que Lise avait trouvé un CDI m’isolait un peu plus, me mettait la pression. La pauvre, elle ne voulait rien faire de mal ! Elle n’avait d’ailleurs pas trop le choix : elle a un loyer à payer et n’a pas de chambre chez ses parents où se réfugier. D’ici mars 2021, elle devait trouver un emploi.

Nos situations ne sont pas comparables. Je profite pour l’instant d’un appartement familial limitrophe de Paris, sans loyer à payer, et je peux me réfugier chez mes parents à Meaux quand je le souhaite. Il n’y a donc pas d’urgence à ce que je trouve un travail. Malgré tout, c’est dur de me faire confiance sur ce chemin, quand je vois tous ces camarades qui, tour à tour, trouvent chaussure à leur pied. Ça me rassure beaucoup d’avoir d’autres amies qui prennent des voies où on ne les attendaient pas.

Charlie a décidé de s’engager dans quatre années de doctorat en Histoire de l’art, spécialisée en histoire de l’architecture. Elle aurait pu trouver un travail beaucoup mieux rémunéré, mais qui la passionnait moins. Océane, elle, est une écolo convaincue, passionnée par la naturopathie, qui cherche sa voie avec le réseau Primaveras, un programme d’accompagnement et de réorientation professionnelle des jeunes diplômé·es. Après une expérience peu épanouissante aux RH d’un grand groupe du CAC 40, elle a décidé de prendre du temps pour réfléchir. Et pour elle aussi, c’est parfois difficile. L’autre jour, elle m’écrivait :

 

C’est un peu compliqué de pas tomber en burn out avant même d’avoir commencé à bosser, entre la pression que l’on se met nous-mêmes et la pression extérieure… J’ai parfois l’impression d’être prise entre différentes pressions assez contradictoires du style : il faut un CDI pour la stabilité, il faut sauver la planète, il faut avoir un boulot avec du sens, il faut se créer son propre boulot pour être heureux, il faut économiser pour un jour pouvoir peut-être s’acheter un appart’ et du coup devoir prendre un crédit et devoir travailler jusqu’à 70 ans pour le rembourser, etc., etc.

« Aie confiance et n’aie pas peur ». C’est ce qu’aurait dit Marine Barnérias à elle-même, petite, si elle avait pu. À 22 ans, elle est partie sept mois en Nouvelle-Zélande, en Birmanie et en Mongolie après avoir découvert qu’elle était atteinte de la sclérose en plaques. Elle a eu le courage de se confronter à son corps pendant des randonnées interminables, à son esprit pendant plusieurs retraites de méditation (dont dix jours en silence) et à son âme dans les plaines arides mongoles.

Je suis en train de lire son livre, Seper Hero (2017), où elle conte tout son voyage et ses réflexions. Avec les autres récits d’aventure que je lis, ces bouquins sont devenus ma seule lueur d’espoir. La dernière branche à laquelle je m’accroche pour ne pas tomber, désespérer, rendre les armes et arrêter de chercher un chemin qui m’épanouisse (et correctement payé).

Je suis déboussolée, comme si ce travail miracle n’existait pas. Comme si j’étais condamnée à faire quelque chose qui ne me plaisait pas. J’ai l’impression que la précarité est partout quand on s’éloigne de la voie classique, c’est-à-dire des jobs dans des boites quelconques à faire de la gestion de projet.

Depuis le début de mon chemin, je fuis la précarité. Cette peur de la précarité dicte mes choix et m’a poussée à ne pas faire d’école de journalisme. Mais j’ai peur de devoir choisir entre une voie épanouissante, mais précaire et un travail bien payé, mais pas fait pour moi. Comme si tous les jobs qui me plaisaient étaient précaires ou à un salaire pas aligné avec mon niveau d’études.

Je passe mon temps à tenter de résoudre des dilemmes, dont aucune des options ne me convient. À part celle de tracer ma propre voie, de me créer plusieurs activités et de croiser les doigts pour qu’elles me permettent de gagner suffisamment ma vie. Heureusement, j’ai une dernière corde à mon arc. Je sais que je peux toujours trouver un CDI comme consultante-formatrice en environnement. Je sais que ça devrait être bien payé.

Suivre cette voie est devenue l’un de mes premiers objectifs. Ou plutôt, c’est MON objectif annuel, avec une échéance en juin. Si je décroche un CDI dans ce domaine avant l’été, en ayant sorti mon podcast, je crois que j’aurai tout gagné. On verra bien. Ensuite, il faudra s’attaquer à un nouveau chemin : partir travailler en Allemagne et si possible à Berlin… Ou à Madrid, comme “Eva en août” !

Milo

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