Jour 173.
La force incroyable du bouton "pause"

Hiver 2020-2021

Bon…. Depuis quelque temps, je ne parle plus trop de CDI, de mes recherches d’emploi. J’ose à peine évoquer le sujet avec mes ami‧es, parce que je n’ai aucune envie de leur « rendre des comptes » (ils et elles ne m’en demandent pas, d’ailleurs !), et je ne suis pas non plus à la recherche de conseils particuliers. Désormais, quand je dois répondre à la question fatidique : « Et toi, qu’est-ce que tu fais dans la vie ? » (s’il vous plaît, remplaçons-la par la question « Qu’est-ce que tu aimes ? »), je réponds que je suis « en transition ». Car je ne suis pas en recherche d’emploi active, mais je ne fais pas « rien » non plus. Je me « pose » !

Je profite du temps que j’ai pour faire le point sur toutes mes envies et surtout, pour ne pas me retrouver une énième fois totalement en porte-à-faux avec mes rêves, mes désirs, réduite à écouter toutes les personnes croyant mieux me connaître que moi-même, lâchant « je te verrais bien faire ce métier »« non, toi, tu serais excellente là-dedans, c’est ton truc »« tu as pensé à devenir [ajouter métier] ? », « je crois que c’est bien payé en plus », « on a vraiment besoin de ces métiers »« j’ai une bonne amie qui fait ce métier, il faudrait que tu la contactes ».

Mouais. Des coups de fil, j’en ai passé. C’est sûr, ça m’a beaucoup aidée. Mais peut-être aurait-il fallu me conseiller aussi d’arrêter ma frénésie d’activités. Simplement pour prendre quelques mois pour me retrouver, pour commencer à tutoyer mes rêves, à les toucher. Aujourd’hui, j’ai envie de lancer un grand appel, à tout le monde et à tous et toutes les jeunes diplômé‧es qui se posent des questions : « Arrêtez-vous ! ». Simplement ça.

Car dans la vie, c’est un « confort » irremplaçable de savoir ce que l’on veut, ce que l’on veut faire, ce que l’on veut vivre. Et partir à la recherche de ses envies, c’est un vrai travail. Un travail « à temps plein », si l’on veut coller au vocabulaire de notre époque. C’est d’ailleurs ce à quoi je consacre la plupart de mon temps depuis quelques mois. J’ai enchaîné les ateliers gratuits de l’entreprise Little Big Impact, ambitionnant de nous aider à « aligner nos valeurs, nos envies et nos actions ». J’ai beaucoup appris. Vendredi dernier, à l’atelier « Agir pour les enjeux qui vous tiennent à cœur », j’ai enfin pu relier toutes mes passions et trouver le dénominateur commun qui les unit : la liberté.

Je suis passionnée par tous les écrits féministes, car ils m’ont permis de me libérer de toutes les injonctions plaquées sur moi, en tant que femme. Quant à ma très récente passion pour les philosophies du travail et de l’art de vivre, elles m’invitent à imaginer des futurs plus libres, à me débattre face au carcan du travail chronométré et omniprésent. Et la voile… Les récits d’aventure des navigateurs et navigatrices me montrent que je ne suis pas la seule à être fascinée par l’océan, à m’y sentir libre, à rechercher ces temps hors du temps, sur un bateau. À toutes celles et ceux en quête de liberté, j’ai une très bonne nouvelle : on n’est pas du tout tous seuls !!

Plus j’avance dans ma « transition », plus je me rends compte qu’on est extrêmement nombreuses et nombreux à se poser des questions, à aspirer à « autre chose ». On devrait sûrement nous inciter à nous poser ces questions avant de nous lâcher dans la jungle de l’emploi. Que les grandes écoles et les universités nous donnent accès à d’innombrables ateliers sur les CV, sur les lettres de motivation, sur les « opportunités de carrière » dans tel ou tel secteur, c’est très bien. Mais avant de travailler son CV, avant de candidater, il faut d’abord être sûr‧e de ce que l’on veut !!

 

Imaginez passer toute votre vie à grimper les échelons de votre vie, et une fois arrivé tout en haut, de vous rendre compte que l’échelle était posée sur le mauvais mur !   

 

[…]  

 

Il est très facile de se laisser prendre au piège d’une activité, de ce que propose la vie, et de travailler de plus en plus pour gravir les échelons de la réussite, pour finalement découvrir que l’échelle ne s’appuie pas sur le bon mur. Il est possible d’entreprendre beaucoup sans pour autant produire quoi que ce soit.   

 

(Stephen Covey, Les sept habitudes de ceux qui réussissent tout ce qu’ils entreprennent, 1989)

Ce n’est pas parce qu’on est déjà engagé‧e dans des études précises qu’on sait ce qu’on veut faire. On a souvent pris ses décisions d’orientation à 17 ans, alors qu’on tentait de survivre à l’adolescence, qu’on tâtait les émois et angoisses des premiers amours, qu’on faisait nos premiers pas dans le monde des adultes, qu’on simulait une assurance et une confiance en nous-mêmes pourtant toute fraîche. Bref, on se connaissait à peine. Et, souvent, on connaissait peu de choses de « la vie ». On ne nous avait d’ailleurs pas trop expliqué ce que c’était, vraiment, « la vie ».

Vérifier quelques années plus tard qu’on s’est bien engagé‧e dans les bonnes filières, ce n’est pas du luxe ! Surtout qu’entre les études et la réalité des jobs où elles mènent, il y a un gouffre abyssal ! Par exemple, j’adore le droit constitutionnel. Mais je n’ai pas du tout envie de travailler dans des juridictions administratives toute la journée, dans un bureau, sur des dossiers qui m’intéressent peu. Ça, c’est non.

Ce blog, je l’écris pour toutes celles et ceux perdu‧es dans leurs choix, qui ont l’impression d’être les seul‧es au monde à traverser plusieurs crises existentielles par an, qui voient l’horizon de la fin des études approcher avec une angoisse aussi profonde que le sombre brouillard qui tapisse leur futur professionnel. Moi aussi, je me suis posée mille questions. Je suis allée voir en panique les conseillers et conseillères carrière de mon école, à deux doigts de les supplier de m’accorder un test de personnalité MBTI, comme si ça allait être la réponse à tous mes maux. J’étais à la recherche désespérée d’une bouée de sauvetage qui pourrait m’aider à flotter face à la vague d’anxiété qui se formait en moi, au loin.

« C’est grave, docteur, de pas savoir ce que je veux faire ? », demandais-je, avec une voix tremblante d’angoisse, avec les joues rougies de la honte de ne pas avoir encore trouvé « ma voie », avec la culpabilité de ne pas être une fusée sur le marché de l’emploi comme toutes et tous ces anciens étudiants engagés dans « une belle carrière » et érigés en modèles, avec la crainte d’être un poids pour le « service carrières », avec la hantise de faire partie de cette minorité de diplômé‧es qui n’ont jamais trouvé un emploi en phase avec leurs études et leurs prétentions, avec l’angoisse de m’être totalement trompée de voie, de devoir tout recommencer, de ne jamais trouver ce qui me plaît, d’être vide de passions et d’envies.

Je n’avais aucune idée d’un emploi qui pourrait me plaire à la sortie des études. J’avais fini par écouter mon cher cousin Thomas, qui m’avait lâché : « quand tu seras diplômée, tu trouveras quelque chose auquel t’as pas forcément pensé aujourd’hui, mais qui te plaira, t’en fais pas ». Il y a quelques mois, quand je lui racontais mon dernier stage, il m’a conseillée d’arrêter d’essayer d’être heureuse dans un job bureaucratique, de gestion, de support. « T’as assez essayé, c’est pas ton truc. » Et oui, tout simplement. Laissons la parole à Stephen Covey, auteur de l’ouvrage précité :

 

Comme nos vies seraient différentes si nous savions ce qui nous tient à cœur et si, cette image en tête, nous nous attachions à être et à faire ce qu’il nous importe vraiment d’être ou de faire. Si l’échelle s’appuie sur le mauvais mur, chaque échelon nous engage davantage sur une fausse route. Nous avons beau être efficace, nous ne serons constructifs que dans la mesure où nous commençons avec la conclusion en tête.

Peut-être que si je ne m’étais pas « arrêtée » cette année, j’aurais appuyé mon échelle sur « le mauvais mur ». J’aurais peut-être pensé toute ma vie que mon seul rêve, c’était d’animer une émission de radio sur une grande station, comme je le pensais pendant mes derniers mois de travail. C’est clair que j’ai très envie de faire ça. Mais ce n’est pas mon objectif n° 1. 

J’aimerais simplement avoir une vie avec pas mal de « vacances » et de temps libre (hors week-ends), où je puisse écrire, transmettre et être présente pour mes proches et pour moi-même. Je ne veux pas passer ma vie au travail, que ce soit pour animer une émission de radio ou faire autre chose. Ce « rêve » d’animer une émission de radio, je n’ai pas envie qu’il prenne le pas sur toutes mes autres envies et tous mes autres rêves. Quand j’ai terminé mon dernier stage, je n’avais absolument pas conscience de tout ça. Je n’en savais strictement rien. Je constatais juste avec tristesse que mon rêve de faire de la radio s’éloignait, sans me demander si j’avais d’autres rêves. J’étais persuadée que c’était mon seul rêve, mon grand rêve, le rêve de ma vie.

Ma « petite voix » m’a toujours chuchoté qu’il ne fallait pas que je fasse une école de journalisme après mes études de sciences politiques. Je ne l’ai jamais « senti ». Sans comprendre pourquoi, j’ai écouté mes émotions et mon inconscient et je ne me suis pas engagée dans ces études. Cette année, j’ai compris pourquoi « je ne le sentais pas ». Je savais que les études de journalisme étaient très exigeantes, tout comme le travail de journaliste à la sortie : on ne compte pas ses heures, on accepte d’écrire des brèves ou des articles publicitaires, on n’est pas très bien payé‧e et les reportages sont aussi rares que les moments d’échange où on peut prendre le temps de discuter avec les personnes sujettes de nos enquêtes.

Bref, la vie de journaliste peut être une vie de compromis, de pression, où il faut « avoir la passion chevillée au corps » pour survivre et donner un sens à tous les sacrifices qu’on est contraint‧e de faire. Je ne souhaite pas du tout avoir un travail qui prenne tout mon temps de vie, qui me coupe de mes proches et de mes autres passions. 

Croyez-moi, ça fait du bien d’être au moins un peu au clair avec ses envies. Quand je lui avais parlé de mon projet de faire une pause avant de chercher un travail, mon amie Élise, 32 ans, m’avait chaudement encouragée : « J’ai parfois oublié la force incroyable du bouton ‘pause’. On n’imagine pas à quel point la ‘pause’ est vitale et nécessaire. »

Marie, 25 ans, une ancienne collègue, a, elle, été embauchée à la suite de son stage de fin d’études. Classique. C’est le scénario rêvé par la majorité des étudiantes et des étudiants. Marie n’a eu que le temps des vacances d’été pour digérer la transition de sa vie d’étudiante à sa future vie de salariée. Un an plus tard, elle s’est rendu compte à quel point le temps suspendu entre la fin des études et le début de la vie pro pouvait être un territoire privilégié pour faire le point sur ses envies. « Après, ce n’est plus du tout pareil », m’a-t-elle confiée il y a quelques mois.

Si définir ses objectifs de vie peut être utile, ce n’est PAS DU TOUT reposant ! Ça demande même une certaine organisation. Quand on libère son cerveau, qu’on lui laisse le champ libre, qu’on lui dit « vas-y, lâche-toi, je ne te juge plus, libère toutes les envies que tu as enfouies au fond de moi », on est en proie à des questionnements existentiels tous les jours. On ouvre les vannes et un rien nous bouleverse, un rien nous emmène sur des chemins qu’on n’avait jamais empruntés, jamais remarqués, jamais imaginés. Il faut sacrément s’accrocher et y croire dur comme fer. Il faut être prêt‧e à traverser des tempêtes émotionnelles, à être totalement perdu‧e, à ne plus du tout savoir où on est ni ce que l’on veut, à perdre tous ses repères.

 

Jetez vos rêves dans l’espace comme un cerf-volant, et vous ne savez pas ce que cela ramènera, une nouvelle vie, un nouvel ami, un nouvel amour, un nouveau pays.  


 (Anaïs Nin)

Quand on s’imagine être le ou la libre créateur‧rice de sa vie, c’est tourbillonnant, c’est vertigineux. On croyait qu’on se posait déjà trop de questions, mais là on s’en pose mille, tout est constamment remis en question, tout, tout, tout. Être en période de transition et mettre tout à plat, ça génère une véritable fatigue psychique. On est un peu perdu‧e une fois qu’on a ouvert la porte du jardin de la liberté ! Et on est épuisé‧e de courir après chaque rayon de soleil, chaque nuage, chaque mirage.

Comme l’explique Stephen Covey, (avoir) une vision pour sa vie « requiert une conscience de soi aiguë, une imagination féconde, une immense ouverture d’esprit et une forte dose d’humilité. C’est un travail en perspective qui, selon l’expression de La Fontaine, exige patience et longueur de temps. Donnez-vous plusieurs semaines et même des mois pour le réaliser adéquatement. »

Malgré tout, je crois ça vaut le coup de s’y mettre. Bizarrement, plus on construit notre philosophie de vie, plus on définit notre vision et nos principes, plus la sérénité nous gagne. On est un peu plus droit‧e dans ses bottes. Et une fois qu’on sait bien ce qu’on veut, on peut se rappeler des paroles du navigateur Guirec Soudée : « La vie passe beaucoup trop vite pour se poser des questions, il faut foncer. »

 

Apportez-moi mon arc d’or brûlant, apportez-moi mes flèches de désir !  

 

(William Blake, Milton, 1804)

Milo

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