Jour 92. Les 35 heures VS ma liberté

Automne 2020

Trois mois ! Aujourd’hui, ça fait pile trois mois que j’ai fini mon stage. Que j’ai commencé, en quelque sorte, une nouvelle vie. En trois mois, si l’heure du bilan est venue, je me suis reposée, j’ai retrouvé (toute) mon énergie, j’ai compris ce qui était important pour moi (écrire, faire du journalisme, transmettre), j’ai ouvert une boîte de Pandore, une autre et encore des dizaines d’autres, en m’interrogeant sur mon travail et le temps que je veux y consacrer. En passant des coups de fils à des filles travaillant en « indépendantes » dans les domaines que je convoite, j’ai découvert la possibilité d’autres vies, avec moins d’argent, en travaillant moins, mais en maîtrisant son temps.

« Il y a un milliard de possibles derrière le ‘Je ne veux pas de 35h’, m’expliquait Clémence, ancienne commerciale reconvertie dans la formation à son compte. Il faut que tu te demandes de quoi t’as envie et qu’est-ce que ça induit, en te fixant une limite de x heures de travail par semaine. Pose-toi deux heures avec un cahier pour te demander ce qui va te faire kiffer, ce qui est important pour toi. » D’un coup, un autre monde s’est ouvert à moi : un monde plus libre, où des diplômé·es BAC+5 arrivaient à vivre en travaillant moins que 35 heures ! C’est possible. Ça se fait déjà.

Découvrir ça, ça m’a beaucoup apaisée. Et ça m’a beaucoup angoissée. Car ces filles-là, elles m’ont invitée à me demander de combien d’argent j’avais besoin, par an, pour vivre. De tout noter sur un tableau Excel : mes charges, mes dépenses, mon épargne visée. Et selon, de définir le temps que je consacrerai à mon travail.

Les dernières certitudes sur lesquelles je me reposais (avoir un bon salaire à la sortie de mon école, ne pas avoir à me soucier de l’argent) ont été bousculées. Comme si, pour terminer le chemin que j’avais commencé, il fallait aussi que je remette en question mon rapport à l’argent. Ça parait logique : impossible de déconstruire mon rapport au temps sans déconstruire mon rapport à l’argent. Honnêtement, je m’en serais bien passée. Je pensais avoir déconstruit assez de croyances (limitantes) comme ça !

« Quand vous achetez quelque chose, vous ne l’achetez pas avec de l’argent, vous l’achetez avec le temps. Avec le temps de votre vie que vous avez dû utiliser pour gagner cet argent. », répète sans relâche José Mujica, ancien Président de l’Uruguay (2010-2015). Cet homme a conduit de grandes réformes sociétales en légalisant le mariage homosexuel et l’avortement, et en ayant fait de l’Uruguay le premier pays au monde à légaliser la consommation récréative, la production et la vente de cannabis. Mais surtout, il a toujours dénoncé le consumérisme effréné qui nous fait perdre notre bien le plus cher : notre liberté. Gagner plus d’argent signifie souvent passer plus de temps au travail. Et donc, « perdre » du temps de vie. Or, le temps est la seule valeur qui ne s’achète pas, affirme Mujica :

 

La vie, ce n’est pas que travailler, c’est avoir du temps pour la vivre, avoir du temps pour les choses quotidiennes… Tu vivras avec la sueur de ton front, mais tu ne vivras pas pour suer.

[…] 

Dans des sociétés comme les nôtres, l’être humain court le risque de vivre sa vie comme un agent acheteur et rien de plus. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien acheter, on ne peut pas vivre de l’air ; cela veut dire que tu dois te libérer de cette esclavitude. Tu achètes le nécessaire pour vivre, mais tu fais aussi d’autres activités. Le bonheur n’est pas une question matérielle. 

[…] 

Les choses les plus belles et les plus douloureuses de la vie n’ont rien à voir avec l’argent. 

[…] 

Avoir besoin de peu est le chemin le plus court pour être libre, pour avoir du temps libre, pour le passer à faire ce qu’on aime ou ce qui nous passionne. 

Moi-même, je me pose depuis longtemps la question de la liberté, depuis que mon cher coiffeur Gabriel m’a demandé, pendant qu’il me coupait les cheveux au carré : « Est-ce que tu penses que tu es libre, Milo ? ». Sur le coup, je suis restée sans voix, dans l’incapacité totale de lui répondre. Puis, la gorge nouée, je lui ai dit « oui », sans en être vraiment convaincue. En soi, à l’époque, j’étais étudiante, je pouvais faire plein de choses. Je pouvais décider de ma vie. Je lui ai retourné la question et il m’a répondu, catégorique, sans hésiter une seconde : « non, je ne suis pas libre ». 

Ça m’a surprise. Et ça m’a beaucoup secouée. Si lui n’est pas libre, alors qu’il a tout son libre arbitre, réfléchit beaucoup, rêve d’échanger avec Socrate (!), sait prendre de la hauteur, alors peut-être que moi, je ne suis pas libre non plus ? Et c’est quoi, vraiment, être libre ? J’ai longtemps balayé la question, en pensant que la liberté était une notion trop métaphysique, trop difficile à comprendre pour que je la touche du doigt. Mais la liberté n’est peut-être pas si abstraite que ça, si on écoute José Mujica :

 

 

La liberté individuelle va de pair avec le fait d’avoir du temps libre pour vivre. Si tu veux tout le temps changer de voiture, avoir une maison et encore une autre et une autre et une autre, tu dois t’en préoccuper beaucoup et travailler beaucoup, et tu n’as jamais de temps. Après, tu dois passer beaucoup de temps à t’assurer qu’on ne te vole pas, parce qu’on va t’envier. Et pendant ce temps, la vie t’échappe. Je n’ai vu aucun homme avec beaucoup d’argent qui peut aller à un guichet et acheter des années de vie. 

[…] 

Plus on a de temps, plus on est libre. Sinon, la vie n’est que fatigue, n’est qu’obligation. 

[…] 

Quand on doit faire quelque chose parce qu’on y est obligé·es, parce qu’on doit gagner sa vie, on n’est pas libres. Je suis libre quand je suis le propriétaire des décisions que je prends : j’aime pêcher, alors je vais pêcher! J’aime voir mes ami·es, alors je vois mes ami·es. C’est l’exercice de ma liberté, car je choisis ce que je fais. 

[…] 

La liberté, c’est avoir du temps pour faire les choses qu’on aime, qui nous motivent. 

Pendant sa présidence, Mujica a continué à vivre dans la ferme de son épouse, en utilisant seulement 10 % (1 300 dollars) de son salaire mensuel de 12 500 dollars. Le reste de sa paye, il l’a donné à des causes caritatives, défendant une vie sobre, mais pas austère. « Je ne suis pas pauvre, je suis sobre, avec des bagages légers, je vis avec juste ce qu’il faut pour que les choses ne me volent pas ma liberté », a-t-il revendiqué. Pour définir une personne pauvre, il reprend les mots de Sénèque : « Les pauvres ne sont pas ceux qui possèdent peu. Ce sont ceux qui veulent beaucoup et qui désirent toujours en avoir plus. »

Ancien rebelle guerillero, Mujica a été détenu et torturé sous la dictature en Uruguay (1973-1985) pendant quatorze ans, de ses 37 à ses 50 ans. De ces années passées en prison, il retient que si « tu ne peux pas ne peut pas être heureux avec peu de choses, tu ne vas pas être heureux avec beaucoup de choses. »

Avoir beaucoup d’argent, ça nous donne l’illusion d’être libres. Car on peut tout acheter, tout se permettre pendant son temps libre. On a les « moyens » de faire tout ce qu’on veut. Mais on confond sûrement trop rapidement la liberté « d’avoir », procurée par l’argent, et la liberté « d’être », fruit de l’épanouissement personnel (et d’une quantité suffisante d’argent pour vivre décemment).

Peut-être faut-il seulement traiter l’argent (et donc le travail) comme un moyen pour vivre – et non comme une fin ? Pour son voyage en voilier autour du monde et avec sa poule Monique, Guirec Soudée a travaillé dès qu’il avait besoin d’argent pour réparer son bateau, acheter des vivres ou un équipement pour aller au Pôle Nord. Et il a arrêté de travailler dès qu’il avait accumulé assez d’argent pour partir dans les meilleures conditions. C’était assez simple. Il a travaillé pour vivre, pour réaliser ses rêves, mais n’a jamais vécu pour travailler.

Aujourd’hui, on résout facilement l’équation travail/liberté en nous faisant croire qu’en ayant un travail épanouissant, on sera libre. Car on aimera y aller chaque jour. L’un des proverbes les plus connus de Confucius est d’ailleurs : « Choisis un travail que tu aimes, et tu n’auras pas à travailler un seul jour de ta vie ». Cette injonction à s’épanouir dans son travail, à faire de son travail une passion, est assez paralysante. Elle est en plus fausse : il y a une part ingrate dans tous les métiers, y compris les plus épanouissants. La contrainte (et donc l’effort) est inhérente au travail, quoi qu’en dise Confucius. Surtout, cette injonction à aimer son travail contourne le débat : même si on travaille 35 heures ou plus en faisant une activité qui nous passionne, 35 heures, ça reste énorme !

Si on sort les calculettes, une journée fait 24 heures. En y enlevant les huit heures de sommeil réglementaires et les huit heures, au minimum, dédiées au travail (7-9 heures de travail et 1-2 heures de transport pour y aller), il ne nous reste qu’entre huit heures de vie (dans le meilleur des cas, avec seulement sept heures de travail et une heure de transport) à cinq heures de vie (dans le pire des cas). On y retranche cinq heures dédiées à l’hygiène personnelle (1 heure), aux trois repas de la journée (deux heures et demi), à l’entretien quotidien de la maison et à la cuisine du soir (une heure).

Et il ne nous reste plus que trois heures de temps libre, dans le meilleur des cas à… zéro heures de temps libre, dans le pire des cas. C’est assez peu, à moins d’avaler ou de sauter ses repas, ou d’empiéter sur le sommeil pour avoir plus de temps (et, le week-end venu, de tenter tant bien que mal de rembourser sa dette de sommeil)… On est loin des « huit heures de loisir » idylliques promises par la journée de travail de huit heures, sur cette affiche du 28 avril 1906…

La journée de huit heures a été finalement votée le 23 avril 1919 à l’Assemblée Nationale. Depuis, on a eu la journée de sept heures à partir de 2002 et depuis… plus rien. Pourtant, comme l’indique cette affiche de la CGT plus bas, « les courtes journées […] sauvegardent la santé, assurent le bien-être, permettent de constituer un foyer. Elles rendent la famille heureuse ». Ah ! Ouf, oui, oui, oui !

Bien sûr, le week-end nous permet de voir nos proches, mais avec maximum trois heures de temps libre cinq jours sur sept, on n’a absolument pas le temps de lancer des projets personnels. À moins de rogner sur le temps dédié à la famille, aux ami·es, au sport et aux loisirs, nécessaires pour respirer, pour avoir des bouffées d’oxygène indispensables entre deux journées de travail. Pour ne pas devenir une machine à travailler.

Lors de mon dernier stage, j’avais déjà le projet de lancer un podcast et un blog, d’appeler des personnes pour construire mon projet professionnel, mais je n’ai jamais vraiment eu le temps de m’y mettre sérieusement. J’étais déjà sur le fil du rasoir et ma priorité était, avant tout, de ne pas vaciller, de garder une bonne santé mentale et physique, en voyant mes proches, en me dépensant, en m’évadant par la lecture et par les documentaires animaliers.

Malgré toutes mes réserves face à une vie de travail « à temps plein », j’ai du mal à imaginer d’autres alternatives, viables sur la durée. Je ne peux pas m’empêcher de me demander comment je me débrouillerai quand j’aurai des enfants, pour avoir une maison ou un appart’ et tout leur payer. J’ai tourné trente fois le problème dans la tête et je n’ai pas tellement réussi à résoudre cette énigme. Puis je me suis dit que, si besoin, la vie salariée, à 35 heures et plus, me sauvera toujours, m’apportant un matelas financier sur lequel dormir paisiblement, à condition de donner beaucoup de mon temps. Je me suis rendue compte que si mon unique but, c’était de gagner de l’argent, c’était largement possible. Je n’avais pas de soucis à me faire là-dessus.

Alors je me suis demandée quel était mon but aujourd’hui, quelle était ma priorité… Être maîtresse de mon temps, ou être très à l’aise financièrement, et constituer des « réserves » pour toute ma vie ? Ou les deux ? Être « exploratrice », ou être exécutante ? Comment faire pour ne pas être coincée par les besoins d’argent, de reconnaissance et de laisser une trace ? Quels besoins choisir ? Tous, autant les uns que les autres, dans un monde idéal !

Aux jeunes, Mujica a conseillé : « si vous voulez être heureux, ayez une idée dans laquelle croire, vivez pour servir cette idée et ne vous laissez pas asservir par le marché ». Bon, ça ne m’a pas trop aidée. Je me suis vite retrouvée débordée par toutes ces pistes ouvertes, par tous ces horizons des possibles imaginés dans ma tête, qui ne cessent de bouger, de se croiser, de s’enjamber, de se cacher, sans me laisser y voir très clair ! Honnêtement, je ne pensais pas que j’allais découvrir autant en me questionnant sur les 35 heures, ni que j’allais trouver tant de matières à penser. Je me posais bien assez de questions comme ça !

Malgré tout, aujourd’hui, on est lundi 7 décembre, il est 10h44 et je suis bien.  Je médite de temps en temps et, depuis quelques jours, mes méditations sont guidées par Fabrice Midal, qui tente inlassablement de transmettre sa devise : « Foutez-vous la paix ! ». Appliquer cette devise à chaque instant de ma vie m’est quasiment impossible. Mais peu à peu, j’arrive à arrêter de ressasser le passé et d’anticiper l’avenir, pour me concentrer sur la seule chose que j’ai : l’instant présent. Dur dur dur !

Par exemple, ce matin, je me suis levée à 9h30, alors que je voulais me lever au plus tard à 9h. J’ai donc dû commencer la journée en combattant avec une partie de moi-même, prête à m’autoflageller pendant plusieurs heures pour m’être levée si tard. J’ai tenté de me raisonner : « Non, Milo, tu ne vas quand même pas commencer ta semaine avec des reproches et en n’arrêtant pas de te demander pourquoi tu ne t’es pas réveillée à 8h30 quand le réveil a sonné ! C’est comme ça, accepte-le, passe à autre chose ! »

Après plusieurs minutes de lutte intense, la Milo perfectionniste, happée par l’envie d’être productive toute la journée, de bosser sur tous ses projets, de rayer victorieusement des lignes sur sa liste « à faire », angoissée par l’idée de laisser filer du temps précieux, a capitulé. Elle a reconnu que j’étais quand même sacrément en forme aujourd’hui, de bonne humeur et apaisée. Peut-être ces dizaines de minutes de sommeil en plus prises sur ma journée valaient le coup ! J’ai alors essayé de me répéter cette phrase lue quelque part, que j’essaye tant bien que mal d’intégrer : « à la fin de la journée, au lieu de se demander si on a été productif, il vaut mieux se demander si on a été présent ».

Face à ma frustration de ne pas avancer sur mes projets personnels – et surtout sur mon projet de podcast -, j’ai décidé de dédier entièrement cette nouvelle semaine à… mes projets personnels ! Honnêtement, j’ai pris du temps à négocier avec moi-même pour finalement accepter de faire cette « concession ». Accepter de ne pas bosser sur mon CV, de ne pas regarder des offres d’emploi, de ne pas passer des appels réseau, c’était quand même vachement dur.

Encore maintenant, je suis toujours très tentée par l’idée de faire un tour sur Linkedin pour envoyer des messages, regarder les offres et préparer mon « plan d’attaque » pour décrocher un job ! Comme si c’était un besoin compulsif, une impulsion inconsciente, alors qu’en fait, ce n’est absolument pas urgent… Et j’en n’ai aucune envie. Je sais que juin, c’est quand même dans six mois. Ça me laisse du temps. Mais c’est très dur de me détacher de toutes les attentes, angoisses et inquiétudes de mes proches, qui ont peur pour moi. Sans parler de mes propres angoisses !

Depuis deux mois, je ne peux pas appeler ma grand-mère sans qu’elle me demande, juste après m’avoir dit « Bonjour » : « Alors, tu fais quoi de tes journées ? Tu as trouvé des offres ? Tu vas quand même trouver un travail, il faut s’y mettre ! ». À 93 ans, elle n’a pas perdu de son énergie… C’est presque la même lutte avec mon oncle d’Amérique. Quand je l’appelle, je ne peux pas échapper à sa première question : « T’as fait quoi aujourd’hui ? ».

Il ne me demande même pas si ça va. Non, non, je dois dire ce que j’ai fait. Je dois dire que je charbonne depuis sept heures du matin, que j’ai déjà envoyé cinquante candidatures à midi, que j’ai trouvé un emploi et que je commence demain ! Alors cette semaine, quand mon oncle d’Amérique va voir que je ne lui envoie toujours pas mon nouveau CV, je sens que nos rapports ne vont pas s’améliorer. Il attend aussi depuis deux mois que je lui envoie mes lettres de candidature spontanée. Il veut les relire. Ça va devoir attendre, et je n’ai aucune envie d’imaginer sa réaction.

Mais autant « me ressourcer » et me concentrer sur mes projets persos, dans ce trek infernal vers le premier emploi. Pour être honnête, j’ai choisi de me mettre à travailler sur mes projets persos cette semaine pour la simple et bonne raison qu’ils sont devenus urgents – en plus d’être déjà importants. Tous les livres que j’ai empruntés à la bibliothèque pour le podcast arrivent à échéance lundi prochain. Comme tous les autres récits d’aventure, de voyage, de réflexion, que j’ai empruntés pour découvrir d’autres horizons. Impossible de prolonger les prêts. Il n’y a pas le choix : il faut que j’arrête tout de suite ma grande roue, partie à toute allure depuis des semaines, tournant sur elle-même à des vitesses jamais atteintes ! J’ai aussi le projet d’envoyer des cartes de vœux à mes proches, en y joignant des photos de nous imprimées. On arrive bientôt à fin janvier, et la fin de la saison des « Bonne année ! » approche… Il faut y aller !

Pour me motiver, et m’y mettre, j’ai lu un petit livre que m’avait conseillée une ex-collègue, quand je lui avais parlé de tous mes projets. Il s’appelle Les sept habitudes des gens efficaces (1989), a été vendu à plus de 30 millions d’exemplaires et, bien sûr, il a été écrit par un Américain, Stephen R. Covey, homme d’affaires et conférencier. Pour organiser son temps, Covey nous invite à classer les choses à faire selon leur importance et leur urgence.

D’après lui, nous devons déterminer nous-mêmes l’importance de nos tâches, à partir de nos buts, de notre mission, de nos valeurs et de nos principes. Mais l’urgence provient, elle, de notre environnement. « C’est la pression des autres, de ce qui nous sollicite instamment », d’après Covey. Si on n’a pas défini clairement nos buts, « il est facile de négliger les choses importantes en se laissant distraire par les urgences. Pour accorder la priorité aux choses importantes, il est utile de se munir d’un outil de planification hebdomadaire. »

Malgré toutes les réserves que je peux avoir quant à ces méthodes prêtes à l’emploi pour « réussir sa vie », « retrouver son temps » ou « devenir milliardaire » (!), j’essaierai de me rappeler ces conseils, d’utiliser le « tableau type de l’organisation du temps » qu’il présente dans son livre. Avec un seul but en tête : ne pas laisser filer mes projets personnels au seul motif qu’ils ne sont pas « urgents ». Je risquerais alors de les retrouver dans dix ans, bien cachés dans un coin de ma tête, balayés sans vergogne par toutes les urgences successives que j’aurai eu à gérer, en gouvernant ma vie à vue.

© 2006 Éditions Alexandre Stanké inc.

Après tant de réflexions, de projections, j’ai n’ai qu’une envie : prendre le temps… de me réconforter, en relisant les mots (non culpabilisants !) de l’écrivain suédois Stif Dagerman, dans son essai Notre besoin de consolation est impossible à rassasier (1952) :

 

 Je soulève donc de mes épaules le fardeau du temps et, par la même occasion, celui des performances que l’on exige de moi. Ma vie n’est pas quelque chose que l’on doive mesurer. Ni le saut du cabri ni le lever du soleil ne sont des performances. Une vie humaine n’est pas non plus une performance, mais quelque chose qui grandit et cherche à atteindre la perfection. Et ce qui est parfait n’accomplit pas de performance : ce qui est parfait œuvre en état de repos. Il est absurde de prétendre que la mer soit faite pour porter des armadas et des dauphins. Certes, elle le fait – mais en conservant sa liberté. Il est également absurde de prétendre que l’homme soit fait pour autre chose que pour vivre. Certes, il approvisionne des machines et il écrit des livres, mais il pourrait tout aussi bien faire autre chose. L’important est qu’il fasse ce qu’il fait en toute liberté et en pleine conscience de ce que, comme tout autre détail de la création, il est une fin en soi. Il repose en lui-même comme une pierre sur le sable.  

 

[…]  

 

Personne n’a le droit d’exiger de la mer qu’elle porte tous les bateaux, ou du vent qu’il gonfle perpétuellement toutes les voiles. De même, personne n’a le droit d’exiger de moi que ma vie consiste à être prisonnier de certaines fonctions. Pour moi, ce n’est pas le devoir avant tout mais : la vie avant tout. Tout comme les autres hommes, je dois avoir droit à des moments où je puisse faire un pas de côté et sentir que je ne suis pas seulement une partie de cette masse que l’on appelle la population du globe, mais aussi une unité autonome.

Milo

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